La saison d'hibernation

Le feu doit être alimenté toute la nuit quand il fait si froid.

Alors que les flammes de la cheminée reprennent vie, je frissonne et me blottis contre sa chaleur. Il est minuit passé et la ferme est en ce moment même en proie aux nuits les plus froides de l'année. Il est donc essentiel d'alimenter et de remplir le feu pour nous garder au chaud. Les corvées du soir ont pris plus de temps que d'habitude la nuit dernière, car nous avons apporté de la paille fraîche à chaque groupe de porcs, nous nous sommes assurés que les vaches avaient du foin en plus et nous avons ramassé tous les œufs égarés avant qu'ils ne gèlent. Avec le solstice d'hiver derrière nous, la saison de l'hibernation bat son plein et cette fermière fatiguée se délecte du repos.

Pour ceux qui ne le savent pas, j'ai été professeure de secondaire avant de devenir fermière. J'ai toujours voulu être enseignante, l'un de mes premiers souvenirs est celui d’avoir forcé mon frère de jouer l’élève dans ma salle de classe improvisée. J’ai une affection particulière pour les fournitures de bureau ; rien ne me rend plus impatiente d’être à la rentrée des classes qu'un nouvel agenda, des marqueurs à pointe fine et un nouveau bloc de post-it. J'ai adoré enseigner au secondaire et je m'y suis investie à fond. Quand le travail devenait difficile (comme c'est toujours le cas dans l'enseignement), je me raccrochais au fait que j'avais sept semaines de congé en été.

Je rêvais de toutes les siestes que je pourrais faire, de mes futurs moments de détente à flotter dans une piscine, de mes heures perdues à ne rien faire d'autre que lire ma pile de romans laissés aux oubliettes. À la minute où la dernière sonnerie, signalant le début de l'été, retenti, j'étais étourdie. J’étais parée à me détendre et me détendre VITE. Mais, cette extase n'a duré que 6 à 8 jours avant que je ne commence à m'impatienter. Le soleil matinal me sortait du lit, sa chaleur était agréable sur ma peau et me voilà déjà dehors à en profiter, les heures de clarté persistantes m’incitaient à rester dehors après l'heure du coucher. Avant même de pouvoir m’en rendre compte, mes journées d'été se constituaient de voyages de camping, d'excursions en bateau avec des amis et de discussion autour du feu tard dans la nuit. La fin du mois d'août arrivait et même si je me sentais toujours partante pour une nouvelle année scolaire, ça ne durait jamais longtemps et je retombais dans la fatigue, le stress et le décompte des jours jusqu’au prochain été.

Je ne remarque que maintenant à quel point j’ai été conditionnée à voir l’été comme une période de récupération, mais je finissais toujours par revenir à l'école épuisée parce qu’il fallait que je concilie repos réparateur et vibrance de l’été. Il faut avouer que se reposer et réfléchir quand la nature a le plus à nous offrir n’est pas intuitif.  

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Je l'ai déjà dit et je le répète : le changement le plus radical auquel nous avons eu à faire depuis notre installation à la ferme est le suivi des rythmes de la nature tout au long de l'année. Au lieu de forcer un repos artificiel pendant un été énergique, nous nous alignons sur les longues journées lumineuses et profitons au maximum des jours chauds de l'été. C’est normal d’être debout avant le soleil et de travailler jusqu'au crépuscule. Mais lorsque les feuilles commencent à changer de couleur et que le soleil est de plus en plus bas au niveau de l'horizon, je commence à trouver qu'il est plus difficile de me motiver, j'ai envie de gros repas pleins de glucides et je me glisse de plus en plus tôt dans mon lit douillet.

Avec la nouvelle année qui s'achève, j'entre en mode hibernation maximale. Il m'arrive de ne pas quitter la ferme pendant deux semaines d'affilée, le souper est servi de plus en plus tôt pour un maximum de moments cozy le soir : thé, chaussettes chaudes au coin du feu, un bon livre ou un jeu de société. Ce bonheur détendu dure jusqu'à la mi-mars, lorsque ce sentiment familier de nervosité refait surface, sauf que maintenant que je suis à l'écoute des rythmes de la nature, mes envies de mouvement et d'action sont satisfaites par le réveil de la terre (la saison du sirop d'érable!) et les préparatifs nécessaires pour la saison de culture à venir.

Au lieu de me sentir fatiguée et épuisée avant la nouvelle saison, je suis profondément reposée et débordante de projets, car les jours les plus sombres sont aussi le moment idéal pour la réflexion et la planification.

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Au fil des ans, en développant cette ferme et en nous développant en tant qu'entrepreneurs, nous avons découvert l'importance de la réflexion et de la planification. L'époque où l'on prenait des résolutions pour la nouvelle année en matière de régime alimentaire ou d'exercice physique est révolue. Au lieu de cela, nous nous concentrons sur le bilan de nos réussites et de nos échecs afin de pouvoir revoir notre stratégie et revenir chaque année plus forte et plus en accord avec nos valeurs.

-       Nous revoyons notre calendrier annuel

-       Depuis maintenant 6 ans, j'accroche un calendrier de la même marque sur le côté de notre réfrigérateur comme base de commandement pour notre famille et notre ferme. Rendez-vous, réunions, dates de boucherie, jours de livraison, poussins, mises bas, rotations... tout est marqué sur le calendrier. Corey et moi nous asseyons ensemble et passons en revue chaque mois, en faisant des recoupements avec les photos sur nos téléphones. Nous reportons toutes les dates importantes qui restent les mêmes et nous créons des post-it mensuels sur le nouveau calendrier pour les rappels importants (comme la commande de dindonneaux, la réservation de dates de boucherie pendant les périodes de pointe, les rappels de vaccination pour certains animaux).

-       Nous terminons notre comptabilité et établissons quelques rapports clefs pour examiner les coûts et les revenus.

-       Cela nous permet non seulement d'être en avance sur notre comptable pour régler nos impôts de fin d'année, mais cela nous donne les outils nécessaires pour prendre des décisions importantes en matière de croissance, de réduction et de diversification.

-       Nous passons en revue nos conserves alimentaires

-       Chaque année, nous nous rapprochons de plus en plus de l'autosuffisance alimentaire. En regardant dans les congélateurs et le garde-manger, je sais que le brocoli et les tomates en dés sont déjà partis et que personne n'aime les haricots verts congelés. Cela m'aide à planifier le jardin pour l'année prochaine, puisque je sais que je dois doubler la quantité de brassicas que je cultive et peut-être réduire le nombre de plants de haricots (je déteste cueillir les haricots de toute façon!).

-       Nous achetons des graines pour l'année prochaine et planifions les dates de mise-bas

-       L'une de mes activités préférées pendant ma période de repos intense est de m'asseoir au coin du feu avec une tasse de thé et mes catalogues de graines. J'adore lire les descriptions des variétés et admirer les belles couleurs, aménager les parcelles de mon jardin et essayer de convaincre Corey que j'ai besoin de plus d'arbres fruitiers. Nous nous posons et planifions grossièrement les programmes d'élevage des porcs aussi, en nous basant sur le volume de porc nécessaire d'après les rapports de vente de l'année dernière (ajustés pour atteindre nos objectifs de revenus du Nouvel An).

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L'hiver est maintenant la période que j'attends chaque année avec joie parce que je l’accepte pour ce qu’elle est vraiment : une période de repos, de réflexion et de rajeunissement. J'ai hâte de vous faire part de certaines de mes façons préférées de me reposer et de récupérer, alors assurez-vous de vous joindre à nous et vous abonner à ma infolettre  "Notes de la ferme".